L’air était froid et sec. Il s’engouffrait avidemment à travers les arbres, détruisant sur son passage les dernières feuilles et emportant avec lui tout signe de vie. Le camp du Tonnerre gisait sous une épaisse couche de poudreuse et les tanières qui apportaient autrefois refuge aux chats sauvages se ressemblaient plus qu’à de vulgaires buissons déracinés. Petit Fauve observait ce désastre, ses yeux ambrés écarquillés par la peur. En une lune de vie, il n’avait jamais été prit d’un tel désarrois. Ses camarades erraient au centre, tels des fantômes dont les pelages collés au corps trahissait la faim. Son estomac se noua. Sa mère n’était pas rentrée. Il huma l’air avec l’espoir de détecter les effluves familières de son lait. En vain.
Puis, une fourrure caressa la sienne. Il releva la tête. Cristal d’Argent l’observait les yeux plissés de fatigue, elle se pencha pour le réchauffer à grand coup de langue. Mais il n’avait pas froid. Son épais pelage le protégeait des bourrasques de vent.

- Ta mère va rentrer. N’aies crainte. Petite Flamme doit être avec elle.

La minuscule bête hocha la tête puis frissonna. Le matin même, lorsqu’il s’était réveillé, son frère et sa mère avait disparus. Étoile de Cendre avait dépêché une patrouille à leur recherche. Depuis, des murmures inquiets résonnaient dans la clairière. Petit Fauve avait perçut les mots «  renard » et «  saison des feuilles mortes ». Mais, il n’avait, en fait, pas comprit leurs significations. Perdu, il attendait le retour de ses semblables, incapables de retourner dans son nid sans eux. Cristal d’Argent avait à présent collé sa fourrure argentée à la sienne et le couvait d’un regard protecteur. Le chaton allait se laisser gagner par le sommeil lorsqu’un miaulement terrible retentit.
A l’entrée du camp, protégée par ce qui fut autrefois d’épaisses fougères, trois félins apparurent. Le premier, un immense mâle aux yeux ambrés, portait un minuscule chaton dont le pelage roux était trempé. Les yeux clos, le jeune animal poussait des cris à fendre le cœur. Petit Fauve se leva d’un bon et accourut vers les nouveaux venus.

- Petite Flamme !

Mais, on l’attrapa lui aussi par la peau du coup. Il protesta en crachant, son épaisse queue battant furieusement l’air. Il releva la tête juste à temps pour s’apercevoir qu’on l’entrainait avec la pouponnière à l’abri du froid mordant. Lorsque ses pattes touchèrent le sol tapissé de plumes, il se tourna juste à temps pour voir Étoile de Cendre déposer son fardeau. Petit Fauve se précipita vers son frère, qu’il couva de petits coups de langues angoissés.

- Ou était-tu ? Tu m’as manqué ! Ou est Maman ?

Comme personne ne lui répondait, le chaton leva la tête vers l’énorme matou charbonneux qui les observaient en silence.

- Ou est Maman ? Répéta t-il avec agressivité.

Les paupières se son interlocuteur se fermèrent, et il poussa un profond soupir.

- Je suis désolé mon fils. Ta mère n’est plus. Un renard l’a emportée.

Petit Fauve, recula d’un pas, comme si il avait été frappé par la foudre. Puis, la pouponnière autour de lui se mit à tournoyer.


☽☽☽☽☽

Nuage Fauve observait avec fierté l’écureuil mort à ses pattes. Voilà plusieurs levés de soleil qu’il avait été fait apprenti, mais cette proie était la plus impressionnante qu’il ait chassé jusque là. Autour de lui, la forêt était animée par le chant des oiseaux et le ciel prenait une teinte indigo. La saison des feuilles vertes battait de son plein.   Ses prunelles ambrées se posèrent sur le matou qui se tenait devant lui.

- Bien, tu apprends vite, enfin, lorsque tu daignes m’écouter. Ronronna Lune Noire.

Les oreilles du chaton s’agitèrent. C’est vrai qu’il n’avait pas été un apprenti très docile. La chasse n’était pas sa discipline préférée. Il préférait le combat. Sa grande taille et ses énormes pattes faisaient de lui un redoutable combattant. A six lunes, il était presque déjà aussi grand que son mentor. Cristal d’Argent, lui avait soufflé un jour, qu’il serait sûrement aussi robuste que son père. Il ronronna intérieurement. La jeune reine les avaient élevés, lui et son frère, comme si ils étaient ses propres petits. Avec amour et patience.
Mais Nuage Enflammé ne s’était jamais remit de la mort de celle qui leurs avait donné la vie. Le petit chat n’était en réalité plus le même depuis cette douloureuse nuit d’hiver. Le rouquin n’avait presque pas grandit, à l’inverse de son frère. A six lunes, il n’en paraissait pas plus de quatre. Leur mère adoptive ne s’en était pas inquiété. «  Il grandira lorsqu’il sera prêt » Avait-il dit. Les deux orphelins avait toujours été très proches, même si Nuage Enflammé avait rarement participé aux jeux de pouponnière. Nuage Fauve frissonna en se rappelant qu’Étoile de Cendre avait même hésité à attendre que son fils grandisse avant de le nommer apprenti.

- Nuage Fauve ?

Ce miaulement le tira de ses rêveries.

- Rentrons au camp, tu dois être épuisé.

Le jeune mâle allait protester lorsqu’il se rendit compte que ses pattes tremblaient. Les deux chasseurs avaient parcouru toute la journée leur territoire, et le soleil allait bientôt se coucher. D’un signe de queue, le matou invita son apprenti à le suivre.
Lorsqu’ils atteignirent le camp, Nuage Fauve remarqua que son père était en grande conversation avec les guérisseurs. Le cœur du chaton explosa de fierté. Il était si chanceux d’être le fils du chef ! Lorsque leurs regards se croisèrent, Étoile de Cendre le gratifia d’un signe de tête et ses yeux brillèrent lorsqu’il remarqua l’écureuil qui pendait dans la gueule du novice.
La tête haute, Nuage Fauve posa son butin sur le tas de gibier avant de balayer la clairière du regard. Là ! Une petite forme roux sombre se détachait des autres. Comme à son habitude, Nuage Enflammé se tenait à l’écart. Le regard vide, il dévorait une pie. Son frère s’approcha de lui au petit trot, puis, posa affectueusement sa truffe sur la sienne. A ce contact, le rouquin se détendit.

- Tu sais.. Étoile de Cendre m’a encore fâché aujourd’hui.. Il m’a dit que si je continuait comme ça, il serait obligé de faire de moi un chat domestique…

Le cœur du chaton se serra. Leur père était parfois si dur avec Nuage Enflammé ! Peut-être était-il juste inquiet pour son fils, après tout, si le matou ne grandissait pas comme les autres, il ne pourra jamais aller au combat…

- Tu sais très bien qu’il veut que tu progresses.

Le chaton roux lui lança un regard plein de reproches. Et ses pupilles s’enflammèrent.

- Tu ne comprends rien !

Nuage Fauve recula, peiné.

- Il me déteste !

Il sortit ses griffes, et montra les crocs.

- Il me déteste parce que je sais !

Son frère le regarda sans comprendre, les yeux écarquillés. Son pelage se hérissa lorsque le rouquin eut finit sa phrase:

- Il sait que je l’ait vu, lorsqu’il a tué Maman.



☽☽☽☽☽


Ombre Fauve se pencha, la queue droite, prêt à fendre sur sa proie. Dernière lui, la forêt était silencieuse, nul oiseau de ne pipait mot. Le froid s’était de nouveau installé dans la forêt. Tous les sens en alertes, il allait plonger sur la nuque de l'animal lorsqu’un éclair coloré apparut à travers les hautes herbes. Le campagnol releva brusquement la tête et disparu sous une racine sans demander son reste. Furieux, le mâle agita la queue avec un grognement sourd . Mais celui-ci se noya dans sa gorge lorsqu’il reconnu la forme qui se découpait sous le soleil couchant. Perle de Jade ! Il ronronna avec délice lorsque la chatte écaille de tortue s’approcha de lui. D’un geste, elle lui lécha le museau avec douceur et entortilla sa queue dans la ciel.

- Je suis désolée pour ce campagnol. Dit-elle. Je te donnerais un poisson en échange.

Amusé, il se frotta à elle. Voilà des lunes qu’il voyait cette guerrière de la rivière en secret. Sept saisons pour être exact. Ces deux compères s’étaient connu à une assemblée alors qu’ils n’étaient que des apprentis. Ombre Fauve avait été immédiatement hypnotisé par ses grands yeux verts et son regard enjoueur. Personne n’était au courant, ou ne suspectait leur relation. Même Pelage Enflammé n’en avait pas conscience, ou du moins, c’est ce qu’il laissait paraitre. La jeune guerrière se détacha de son compagnon, et le regarda droit dans les yeux. Elle le fixait si intensément qu’Ombre Fauve en frissonna.

- Tu as parlé à ton frère ?

Il secoua la tête, impuissant. Voilà Huit longues saisons que le rouquin lui avait fait cette drôle de révélation. Il avait refusé d’en dire plus, prétextant même qu’il n’avait jamais prononcer cette phrase.Si les deux frères avaient été baptiser le même jour, Étoile de Cendre semblait éprouver de l’affection que pour l’un de ses deux fils. Pelage Enflammé avait, certes, grandit mais il était plus frêle que la plupart des femelles.

Depuis ce soir d’été, Ombre Fauve avait été déterminé à en savoir plus, même si il pensait que son jeune frère avait surement du mal interprété la situation. Leur père n’aurait jamais pu tuer leur mère, mais peut être c’était-il passé autre chose. Enfaite, le corps n’avait jamais été retrouvé, ni même le renard. Aucun de ses camarades n’avait remit en question les paroles de leur chef, qui avait soit-disant sentit l’odeur d’un prédateur. Mais depuis les révélations de son frère, le jeune guerrier avait sentit un malaise l’envahir. Il savait au plus profond de lui, que cette mort n’était pas logique. Mais l’amour qu’il portait à son père le poussait à penser le contraire.
Il reporta son attention sur sa compagne, éprit par ses grandes prunelles vertes.

- Oui. Mais il refuse toujours de me parler… J’ai toujours le sentiment qu’il m’évite.

Perle de Jade lui ronronna des paroles rassurantes, puis lui posa la queue sur l’épaule.

- Je dois y aller. Ma patrouille va se demander ou je suis passée.

Ombre Fauve hocha la tête avec regret, puis lui donna un coup de langue affectueux sur l’oreille.

- Sois prudente.

Alors que la belle femelle replongeait dans les hautes herbes, il fit route vers son clan. A son arrivée, il sentit que quelque chose de grave s’était passé. Ses camarades étaient blottit les uns contre les autres, le regard vide, une expression de peur sur leurs visages. Ombre Fauve frissonna, jamais il n’avait ressentit autant de détresse de la par de son clan tout entier. Son regard parcouru la clairière et il repéra Cristal d’Argent qui murmurait des paroles réconfortante à deux apprentis. Sans attendre, il accourut vers sa mère adoptive. Lorsque celle-ci le vit, son regard se voilà de tristesse.

- Je suis désolée, Lune Noire est mort… Tué par un monstre.

Ombre Fauve se figea. Impossible. Son mentor, son lieutenant, avait perdu la vie. Il sentit ses pattes se dérober sous lui, lorsque la veille reine se colla à lui.

- Allons, Allons..

Le jeune guerrier s’écarta, puis fit route au pied du promontoire ou deux de ses camarades avait déposé le corps couvert de sang. Il observa la scène, éberlué. C’était la première fois, depuis la mort de sa mère, qu’il perdait quelqu’un de chère.  Une boule se forma dans sa gorge, tandis qu’il cherchait son frère du regard. Le rouquin était assit à l’orée de la clairière, la queue enroulé autour des pattes. Ombre Fauve eut beau scruter son regard, il n’arriva pas à déchiffrer son regard.
L’appel d’Etoile de Cendre le tira de ses rêveries. Son père avait prit place sur le promontoire. Une expression de tristesse voilait ses yeux ambrés. Le mâle au pelage couleur de charbon balaya son clan du regard.

- La perte de Lune Noire nous affecte tous. Il restera dans nos mémoires pendant de nombreuses lunes


Un murmure d’approbation traversa l’assemblée.

- Mais le Clan du Tonnerre doit aller de l’avant. C’est pourquoi, je me dois d’annoncer son successeur.

Pendant que ses camarades retenaient leurs souffles, Ombre Fauve sentit le regard pénétrant de son père sur lui.

- C’est Ombre Fauve qui me secondera désormais.

☽☽☽☽☽☽


La pleine lune se détachait dans le ciel, tandis qu’Ombre Fauve se faufilait avec aisance dans la foule de félins rassemblés au pied des quatre chênes. Le jeune mâle renifla exaspéré lorsqu’il comprit que le clan de la Rivière n’était pas encore arrivé. Une lune et demi plus tôt Perle de Jade lui avait apprit qu’elle attendait ses petits. Cette annonce avait remplit de joie le lieutenant. Même si il avait conscience que l’avenir risquait d’être dur, pour lui et ses secrets et pour ses futurs chatons qui grandiraient loin de leur père.
Ombre Fauve avait en partie conscience de trahir son clan. Il grandissait et murissait chaque jour un peu plus. Leurs rendez-vous s’étaient espacés, lui était écroulé sous ses responsabilités, elle avait plus de mal à se faufiler hors de se son camp. Le guerrier tacheté, griffa le sol avec impatience. Cela ne peut plus durer. Il devait trouver une solution.

Soudain, un miaulement retentit au loin. Les prunelles du guerrier s’illuminèrent lorsqu’il vit le clan de sa compagne dévaler la pente. Il allait se joindre à eux lorsqu’il surprit leurs regard égards. Leurs prunelles brûlent de tristesse. Ombre Fauve frissonna. Quelque chose ne va pas. Refroidit, il sculpta les nouveaux venus. Perle de Jade n’était pas parmi eux. Un sentiment terrible l’envahi. Même si il se doutait qu’elle ne viendrait pas, il ne pouvait ignorer le mauvais présentement qui montait en lui.
En silence, il prit place au pied du grand rocher, ou les lieutenants assistaient à l’assemblée. Avant qu’il n’ait pu les saluer il repéra une forme fine qui s’était détaché du clan de la rivière. Une chatte au pelage doré le fixait intensément. Pelage d’Ambre. La soeur de sa compagne agita la queue d’un mouvement imperceptible. Il hocha la tête lui signifiant qu’il avait comprit le sous entendu. Elle voulait lui parler.
D’un regard, il vérifia que personne ne l’observait et contourna l’un des quatre chêne. La jeune chatte l’attendait déjà. Tête et queue basse, ses yeux étaient animés par une profonde détresse.  L’estomac du guerrier se noua.

- Ombre Fauve…

Elle n’eut pas besoin d’en dire plus. Il avait comprit. Ses griffes se plantèrent dans le sol, son pelage doubla de volume. Pelage d’Ambre recula, apeurée. D’un coup de patte, il acharna l’écorce de l’arbre.

- Les petits sont arrivés trop tôt, je suis désolée, nous avons..

- Silence ! La coupa t-il

Le souffle court, il s’allongea, sonné et perdu.

- Deux des chatons ont survécu. Continua t-elle après un long silence

Les oreilles dressés, il l’observa, un espoir indescriptible lui emplit le cœur.

- Comment s’appellent t-ils ?

Il avait prononcé ces paroles avec une agressivité non dissimulé, les babines retroussées. En face de lui, Pelage d’Ambre prit une longue inspiration. Ses pupilles bleus le traversèrent, tandis que sa voix prononça ces quelques mots avec froideur et presque avec méprit :

Tu ne les connaitra jamais, Ombre Fauve. Une autre reine veille sur eux. Pour leur propre bien et le tient, tu ne connaîtra jamais leurs noms.


☽☽☽☽☽


Étoile Fauve contemplait son clan avec fierté. Voilà des saisons que son père, Étoile de Cendre avait rendu l’âme. Et les lunes étaient passées en un éclair. Le matou tacheté avait gardé ses secrets pour lui. Tout comme son frère, mort il y a bien des saisons. La vérité sur la mort de leur mère avait été enterré avec lui. Étoile Fauve ne serait la vérité qu’au sein du clan des étoiles.

Pelage d’Enflammé, Perle de Jade, Cristal d’Argent, Pelage d’Ambre, Lune Noire, son apprenti déchu Nuage d’Automne, sa fille morte avant d’avoir vu le jour Petite Ombre, sa mère Plume de Miel, et son père Étoile de Cèdre, lui avait donné chacun une vie.

Il n’a jamais su lesquels des guerriers de la rivière étaient ses petits. Pelage d’Ambre avait bien dissimulé la vérité. Six apprentis de la rivière avaient été nommé le même jour. Étoile Fauve n’aurait jamais pu savoir qui de ces chatons étaient ses descendants.

Lorsque son Lieutenant, Pétale de Nénuphar s’approcha, il sentit un immense réconfort monter en lui. Après tout, je suis le chef du clan du Tonnerre et il me reste cinq longues vies à vivre.